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 Bienvenue sur le site de Jean Caille
   (1913-2016)

Dédié à tous les prisonniers de guerre 

 

S'ORGANISER ET S'OCCUPER POUR CHASSER LA DÉPRIME

icrc 26/10/1942 Weiden/Oberpfalz. Stalag XIII B camp de prisonniers de guerre.

" ... Aussi bien la naïveté serait-elle d'aller croire qu'une telle masse d'hommes se soit maintenue toute entière dans une si grande immobilité, et l'attitude confite dans la tristesse et le recueillement qu'une littérature bien pensante nous assignait une fois pour toutes, personne, sauf cas exceptionnel de débilité mentale, ne s'y est attardé au-delà des premières semaines. Cette image du prisonnier écroulé sur soi-même, le front dans les mains et qui remâche son malheur, s'est aussi promptement défaite qu'elle était née [...] La captivité n'a pas été seulement l'exil et la contrainte. Ç’a été la durée dans l'exil et dans  la contrainte, avec tout ce que supposait alors la durée : une succession de trivialités quotidiennes, la secousse brutale des grands événements militaires, le frottement des origines, des caractères et des métiers, les mille surprises des contacts avec la population allemande; bref tout un lot d'émotions, d'expériences et d'habitudes, si pareilles qu'elles communiquèrent à l'évolution un rythme partout identique, à la différence près, rarement notable, des circonstances particulières et des tempéraments. C'est pourquoi le destin de quinze cent mille hommes égaillés par petits paquets sur un territoire de huit cent mille kilomètres carrés, et sans communications suivies entre eux, épousa toujours les mêmes courbes aux mêmes moments. [...] C'est la pente invincible de l'homme que de s'accomoder finalement à tout, et de se créer un asile au sein même du malheur."


 

Ainsi parle Ambrière qui casse ainsi l'idée reçue que le prisonnier doit absolument être conforme à l'imagerie populaire qui tend en partie à le déshumaniser. C'est également une excellente entrée en matière pour comprendre que l'erreur serait de penser que le fait de chercher à recréer des conditions acceptables de vie puisse remettre en cause les souffrances physiques ou psychologiques subies.

 

L’importance du nombre de prisonniers de guerre dans chaque camp en Allemagne a pour conséquence de créer une grande communauté. Or comme dans toute communauté, il y a toujours une organisation sociale qui finit un jour ou l’autre par émerger. Elle est nécessaire à la survie. Dans le cas des prisonniers de guerre, le sergent Depoux fera le constat suivant :


« Avant tout il convient de diviser la captivité en trois périodes : la première, la plus dure, […] peut être qualifiée d’adaptation. La deuxième, relativement acceptable, est marquée du signe de l’organisation ; et la troisième, consécration de la deuxième, est caractérisée par le perfectionnement de l’organisation. »


Tout d’abord, nait la camaraderie et à ce propos, il me semble intéressant de souligner que s’il est un seul aspect positif à retenir de ces années d’exil et de captivité forcée, c’est l’expérience du brassage des Français contraints, par la force des choses, à cohabiter et à partager les mêmes conditions de vie et de travail quel que soit leur origine et leur milieu social. Jamais en dehors de ce contexte, on aura vu autant d’hommes transcender les barrières sociales et faire preuve d’autant de solidarité. Ainsi un chef d’entreprise pourra devenir le meilleur ami d’un ouvrier, un architecte celui d’un paysan, voire même, comme en témoigne Ambrière, avec un repris de justice. Ainsi parle-t-il de ses co-évadés, truands marseillais, comme de deux camarades :


" [...] Aussi un milieu d'évadés tranchait-il sur la société ordinaire des prisonniers en ceci qu'on y rencontrait des caractères et des types. Le meilleur y côtoyait le pire, et, pour dire tout, les deux camarades avec qui nous avions pris le large, Hourdebaigt et moi, étaient de vrais repris de justice marseillais dont la fréquentation, deux ans auparavant, nous eût paru peu recommandable. [...] Sous les haillons qui nous tenaient lieu d'uniforme, nous n'en étions plus à ces différences. Un même amour de la liberté, un même refus à l'égard de l'Allemagne nazie et de ses méthodes, voilà qui comptait seul pour nous rassembler, et qui abolissait à l'heure d'agir toute autre espèces de considération. Au reste, que ce qui nous distinguait fût dans bien des cas purement formel, c'est ce qu'un contact étroit et familier nous découvrait souvent ; alors toute méfiance, tout respect humain dissipés de part et d'autre, nous apercevions comme au fond nous étions, sous l'écorce, pareils de nature et de sentiments."

 

 

Et même si ces rapprochements forcés par le destin n’auront pas tous résisté au retour en France, il n’en demeure pas moins que cela aura parfois fait évoluer les mentalités et que tous les prisonniers ont eu « le sentiment d’appartenir à une communauté d’un type particulier. » À l’appui, il suffira juste de constater à quel point les prisonniers de guerre rentrés dans leur famille avant 1945 se sont investis dans l’accueil de leurs camarades à leur retour au pays… Ils furent même leurs premiers soutiens. Cette expérience relatée par Ambrière mériterait d'ailleurs qu'on s'y attarde un peu car dans le contexte de défiance actuelle, elle pourrait servir d'appui à certaines initiatives intéressantes permettant de rapprocher les peuples.

De nombreux témoignages convergent en ce sens et confirment que le prisonnier de guerre a noué des relations assez fortes avec quelques personnes auxquelles les circonstances exceptionnelles vécues en commun ont eu pour effet de le rapprocher. Pour Y.D.


« La force de la camaraderie P.G. vient à la fois de la nécessité profonde de partager sa vie avec  d’autres et du caractère exactement semblable de l’existence que doivent mener ensemble les captifs. »


 

Les prisonniers de guerre tentent en quelque sorte de reconstruire ce dont ils sont privés : une famille. De petits noyaux se forment afin d’échapper au côté déshumanisant du groupe. Les liens se nouent instinctivement au fil d’une cohabitation prolongée ayant pour conséquence de créer les conditions d’une véritable intimité (à force de se côtoyer aussi régulièrement, on en vient à parfaitement se connaître.) Dans de petits Kommandos, l’entente pouvait même être complète entre tous les membres. La convention de Genève prévoyait une représentation collective des prisonniers de guerre. Ainsi, dans chaque groupe, on nomme un homme de confiance qui est en relation avec le commandement allemand, gère les relations avec les gardiens et sert globalement les intérêts de ses camarades. Ces personnes désignées au début par les Allemands eux-mêmes le seront dès le printemps 41  par leurs pairs. Dans les stalags, les hommes de confiance gagnent en pouvoir ; ils obtiennent même des locaux et créent autour d’eux une véritable administration qui va gérer le camp à la place des Allemands, devenant ainsi en quelque sorte des super fonctionnaires. Leur « autorité » s’étend sur tous les Kommandos qui dépendent de leur Stalag qui élisent à leur tour leur propre homme de confiance. Dans les Oflag on les appellera « les Doyens ». Néanmoins Ambrière permet de relativiser la fonction. Il apparaît, au passage, important de souligner que cet homme était totalement réfractaire, qu'il a cherché à s'évader et à résister durant son séjour en Allemagne. De fait, toutes les initiatives et tous les actes des autres prisonniers consistant à s'adapter à la situation et visant au compromis pouvaient s'apparenter pour lui à une forme de collaboration, et ce même s'il avoue que la plupart le faisaient en toute bonne foi et n'étaient pas pour autant des pro-nazis. Voilà son point de vue personnel sur les hommes de confiance des camps dont il estime que ceux qui se présentaient au scrutin étaient des notables eux-mêmes mis en place dans leur fonction par les Allemands et non choisis par les prisonniers dont plus de     90 % étaient dispersés dans des kommandos et ne se connaissaient pas :


" Nourris de l'idéal Pétain, bardés de francisques et farcis de slogans Vichyssois [...] les hommes de confiance ainsi promus, mandataires de la bourgeoisie des camps, plutôt que de la totalité des prisonniers, furent généralement des être sans consistance et qui s'abandonnèrent à la loi du plus fort par fatalisme et veulerie. Sans doute beaucoup ne firent-ils le jeu des Allemands qu'en rechignant, mais enfin ils le faisaient. [...] fonctionnaires ponctuels et sans flamme, incapable de nourrir le courage et l'espérance de ceux dont ils avaient la charge. Même quand ils ne le voulaient pas ou ne s'en avisaient pas, l'ordre qu'ils faisaient régner et la liaison qu'ils assuraient avec les kommandos, les inquiétudes et les conflits qu'ils apaisaient, tout contribuait à endormir les âmes [...] et les autorités nazies n'en souhaitaient pas davantage."

Les popotes

 

 

On appelle « popotes » les petits noyaux d’hommes qui se sont regroupés par baraque ou affinité. Dans chaque popote, les prisonniers mettent tout en commun, ressources matérielles et alimentaires. Le dimanche, jour de repos, chaque popote organise ses propres repas. Moment d'une importance capitale pour tout bon Français qui se respecte.  Ambrière illustre parfaitement la convivialité française à cette occasion :

 

"Qui n'a pas vécu ces dimanches, et parcouru un camp en ce moment où tant de visages concentrés et anxieux se penchaient sur des récipients odorants, ne sait pas ce que c'est que l'importance du bien-manger pour notre peuple, ni à quel point la cuisine tient aux fibres françaises. C'était la seule heure de la semaine où l'on pût vraiment parler de communauté. Toutes distinctions s'abolissaient. Des bourgeois du camp aux pauvres bougres des baraques de passage et du quartier des punis, tous étaient frères dans le même culte et dans la même sollicitude. "

 


Les échecs dans les Oflags

Néanmoins, la 'tambouille' des prisonniers est  le plus souvent bien maigre, cuite grâce à des moyens "de fortune" généralement interdits. Les risques que les prisonniers prennent alors, s'ils avaient été surpris par les sentinelles, sont loin d'être négligeables et certains le payèrent même d'une balle. Il faut dire que rien ne faisaient reculer les frondeurs affamés et les techniques qu'ils mettent en place à la fois pour faire un feu à l'intérieur même de leur baraque et pour ne pas se faire repérer frisent un certain génie doublé d'une impertinence sans borne. Et Ambrière de s'en amuser en racontant la scène dont il a été le témoin. Un cuisinier qui n'avait rien trouvé de mieux que de faire cuire le repas dans les WC où la surveillance allemande était la plus relâchée, mais devant partager l'espace avec d'autres dont un qui déféquait :


"Ce cuisinier accroupi devant sa gamelle bouillonnante, les joues gonflées du souffle qu'il dirige sur un foyer rebelle et dont la flamme toute proche a rougi les yeux, à un mètre de lui cet homme assis sur la lunette et qui geint doucement pour aider à l'expulsion, tandis qu'un autre maître-queux goûte amoureusement un roux au pied d'un quatrième larron qui se reculotte et qu'une voix alarmée s'écrie dans la fumée acre et la bousculade : 'Pisse pas sur mon plat ! nom de Dieu !' telle est la scène familière où nous avons tous tenu notre rôle, les témoins avec bonne humeur, mais les officiants avec un sérieux imperturbable [...] Ni les bruits ni les odeurs, ni rien dans cette atmosphère ne contrariait notre appétit, et même il nous fallait faire un effort pour imaginer qu'on pût s'en montrer dégoûté ou seulement surpris."

Au sein des popotes, l’entraide est la règle et, en fonction de sa composition, du comportement de chacun et de l’homme de confiance élu dépend l’ambiance qui y règne. Y.D. note que pour créer les conditions d’une bonne ambiance, il faut déjà parvenir à se supporter et apprendre pour certains à faire preuve de tolérance. Ce sont les règles de vie en collectivité qui sont parfois difficiles à tenir. On parlerait aujourd’hui du « vivre ensemble ». Mais dans le cas des prisonniers qui n’ont pas choisi leurs voisins de chambrée et qui doivent supporter tous leurs travers pendant cinq ans, il faut bien imaginer à quel point cela a parfois pu être difficile. Y.D souligne que les Kommandos furent « une rude école de tolérance. École d’autant plus rude, que les bons sentiments ne furent certes pas les seuls à fleurir dans la communauté captive […] Les égoïsmes firent partie du comportement des prisonniers de guerre tout aussi bien que les attitudes de solidarité les plus louables. Égoïsmes individuels et égoïsmes collectifs ; car les popotes prirent aussi parfois l’allure de petits groupes fermés, étroitement jaloux de conserver pour leurs membres tout ce qu’ils avaient pu rassembler. »

ICRC 08/1942 guerre 1939-1945. Mörchingen. Stalag XII F, camp de prisonniers de guerre. cuisine.

ICRC 07/1942 Markt Pongau. Stalag XVIII C,  Visite de la délégation ICRC M. Friedrich.

Néanmoins, d’après Y.D, s’organiser aura été la première réaction de défense collective des prisonniers de guerre  :


« ‘ S’organiser’, cela veut dire surtout se donner les moyens de supporter au mieux les misères de la captivité ; de préserver au maximum son existence et sa dignité d’homme contre l’exploitation et l’arbitraire […] c’est utiliser toutes les méthodes possibles et imaginables pour lutter contre la faim et les privations… »


Ce fut d’autant plus important à mesure que s’évanouissent leurs illusions sur une libération rapide. Les prisonniers n’ont guère d’autre choix que de chercher à s’adapter, à tirer le plus de bénéfices possibles de leur unité. Très vite, ils repèrent les endroits où ils peuvent trouver plus de nourriture, mettent en place des stratégies qui leur offre la possibilité de profiter au maximum de chaque opportunité tout en évitant les représailles, acceptent des emplois qui vont leur permettre de meubler le temps ou qui aboutiront à des avantages particuliers. Ils seront dans la recherche perpétuelle de l’amélioration de leurs conditions de vie et deviendront d’ailleurs redoutablement efficaces en la matière. Pour illustrer le propos, le témoignage de mon père est édifiant. Le fameux système D à la française est plus que jamais une compétence fondamentale à la survie.

Dans leur volonté commune de pouvoir maîtriser leur destin et de recréer le tissu social qu’ils ont perdus, les prisonniers de guerre mettent toutes leurs ressources en commun. La richesse de leur diversité les aide considérablement , il est vrai, à faire vivre l’esprit français. Parmi eux, il y a des prêtres, des enseignants, des artistes et des intellectuels en tous genres. Ainsi au sein des Stalags et des Oflags a pu se développer au fil des années des animations sportives et culturelles, de même qu’une vie spirituelle et intellectuelle.

Y.D note « une recrudescence de la pratique du culte et un approfondissement de la foi. » Peu à peu les prisonniers de guerre ecclésiastiques dans les différents camps obtinrent l’autorisation des autorités allemandes d’assurer des offices dans des locaux spécialement aménagés par les croyants eux-mêmes. De grandes messes et des processions seront régulièrement organisées. Dans les Oflags, les plus fervents catholiques se regroupent dans des Cercles dédiés à la méditation ou à l’étude de la foi.

 

Néanmoins une partie de ces activités sont encouragées par les Allemands en accord avec la politique collaborationniste pour en faire un outil de propagande en France. C'est ce que dénonce Ambrière avec une certaine amertume.


" Habilement pris en main par la propagande hitlérienne, les Cercles Pétain servirent d'un instrument de pression constant et souvent odieux sur les esprits. [...] Pour mieux camoufler leur marchandise et la complicité intéressée des Allemands, les dirigeants des Cercles Pétain organisaient des expositions de fortune qui s'appelaient 'Nos provinces, La France et son Empire, les Coutumes de chez nous, et pinçant au cœur de chacun l'orgueil du clocher, ménageaient ainsi un accueil plus favorable aux mensonges de la collaboration."

 

Ambrière s’émeut également du fait que les Allemands libéraient quelques traitres qui se chargeaient ensuite de rapporter aux Français 'la qualité de vie des prisonniers' dépeignant les camps comme de véritables centres de vacances ou s'épanouissaient les âmes, des lieux de culture et d'intelligence,  et les prisonniers comme étant résolument pétainistes. Néanmoins, il ne peut s'empêcher de constater, parlant des stalags, non sans une certaine fierté patriotique : 


" Chacun de ces mondes fermés eut vite ses mœurs reçues, ses fêtes propres. Cela ne s'explique pas seulement par une indifférence réelle au malheur général de la captivité, mais aussi, il faut le dire, par la gentillesse et la légèreté françaises. Il n'est pas donné à quiconque de porter longuement au cœur l'intolérable blessure de la honte et le sentiment étouffant de la calamité publique. [...] C'est ainsi que les dimanches des stalags ressuscitèrent à s'y méprendre les dimanche de n'importe quelle petite ville française. On y reconnaissait les habitudes de la race, son ingéniosité, son amour du bien-vivre, son style aimable et débraillé."

ICRC Markt-Pongau. Stalag XVIII C, camp de prisonniers de guerre. Office.

Des activités sportives, culturelles et artistiques...

 

Dans le domaine sportif, des moniteurs professionnels prennent en mains diverses activités sportives : séances d’éducation physique, basket, course à pied, gymnastique, football… Des locaux et des terrains sont aménagés et, dès lors, se déroulent des matchs inter-chambrées, parfois de véritables tournois. Y.D note que l’on pu même assister à des rencontres internationales entre prisonniers de guerre de diverses origines. Selon lui, parmi les groupes les plus nombreux, on trouve celui des boulistes. Dans les Oflags sont organisées des courses relai ou des championnats d’athlétisme ; on y fait de d’escrime ou on organise un tournoi de basket inter-provinces.

ICRC Autriche Wolfsberg. Stalag XVIII A, camp de prisonniers de guerre. Arrivée du 1 800 m

Match de Rugby de prisonniers de guerre

ICRC 12/07/1942Saarburg. Stalag XII F, camp de prisonniers de guerre. Saut en hauteur.

ICRC 08/1944 guerre 1939-1945. Hohenfels. Stalag 383, camp de prisonniers de guerre. Basketball.

ICRC 08/1944 Hohenfels. Stalag 383, camp de prisonniers de guerre. Cricket.

ICRC 1944. Limburg. Stalag XII A, camp de prisonniers de guerre. Boxe.

ICRC 12/07/1942. Saarburg. Stalag XII F, camp de prisonniers de guerre. France/Serbie  competition de volleyball.

La vie intellectuelle n’est pas en reste, mais essentiellement pour les officiers et sous-officiers des Oflags qui n’ont pas une obligation de travail. Des professeurs donnent des conférences « grand public » pour se cultiver et même de véritables cours dans différents domaines de l’enseignement supérieur. Y.D note qu’au camp de Wahlsatt, en 1942, on va jusqu’à préparer à la licence de droit ( Avec 11 h de cours par semaine, les 34 candidats inscrits auraient pu faire leurs trois années de licence.) Les témoignages font état de liaisons entre universités des camps et universités allemandes dont certains professeurs vinrent même donner des cours… Les bibliothèques, indispensables à la vie culturelle se trouvent approvisionnées par les envois de divers organismes d’aide aux prisonniers. Même les stalags ont des bibliothèques assez bien fournies et constituent un refuge pour ceux qui veulent fuir le bruit constant des chambrées communes. Il convient de préciser que les livres passent néanmoins au préalable à la censure allemande.

ICRC 07/1942. Markt-Pongau. Stalag XVIII C, camp de prisonniers de guerre. planning des cours.

ICRC 1944 Limburg. Stalag XII A, camp de prisonniers de guerre. Librairie.

Au niveau artistique, on profite de ceux qui savent chanter (amateurs ou professionnels) ou des musiciens. Même si les Oflags sont ici encore privilégiés et peuvent se targuer de diverses chorales et de groupes de musiciens qui organisent des concerts, il s'en trouve également dans les Stalags, malgré l’obligation de travail qui les rendent plus aléatoires et moins durables. C’est ce dont témoigne R.Claudel au stalag XVII A :


« Au début de l’hiver, un orchestre petit à petit s’était formé. Par quelle astuce ? Je ne sais pas, mais l’ingéniosité des prisonniers avait encore joué. Parmi les musiciens il y avait quelques professionnels, et ce n’est pas une exagération que de dire que les concerts, les quelques concerts devrais-je dire, étaient de très bonne qualité..»

ICRC 04/02/1941 Stablack/Königsberg. Stalag I A, DT Schichau, camp de prisonniers Le corps de musique.

ICRC 25/10/1942 Bad Sulzbach. Stalag XIII A, camp de prisonniers. Concert de musique.

Stalags et Oflags profitent des talents artistiques de peintres ou de sculpteurs issus de leur contingent. Y.D fait état de manifestations culturelles collectives des camps avec des expositions mobilisant parfois autour de projets communs. Des groupes de provinciaux travaillèrent par exemple à des projets artistiques liés à leurs régions et créèrent de véritables chefs-d’œuvre dont Y.D nous donne des exemples de réalisations.


« Les Parisiens ont dressé une tour Eiffel de trois mètres de haut ; les Bourguignons, transformé un châlit en maison de pays à grand renfort de carton et papier minutieusement peints… »

Mais parmi l’activité la plus prisée, d’après les recherches d’Y.D, arrive en première place celle du théâtre. Il en ressort que les représentations théâtrales de troupes improvisées ont laissé après-guerre aux prisonniers « des souvenirs éblouis ». Certains affirmeront même n’avoir jamais ressenti depuis semblable qualité d’émotion, ce qui est en soit une preuve de l’investissement des groupes d’acteurs qui cherchent ainsi à alléger les souffrances de leurs camarades captifs en leur permettant de s’évader et de prendre du plaisir !

ICRC 17/10/1940 Ziegenhain. Stalag IX A, camp de prisonniers de guerre. Exposition artistique.

Certaines troupes partent même en tournée à travers les Kommandos voire dans les hôpitaux où gisent leurs camarades prisonniers malades. Il faut garder à l’esprit que dans les kommandos, les représentations et les répétitions ne pouvaient être organisées que le dimanche, seule journée de repos.


« Au camp, j’ai réussi une fois à avoir une place pour assister au théatre… Franchement, on se serait cru dans un vrai théâtre de grande ville et la pièce était magnifiquement jouée. » René Lahaye Stalag VIIIC


Au stalag XVII B, R.Claudel note également le plaisir et la fierté patriote ressentis lors de ces représentations témoignant du génie français :


« […] à la même époque, une troupe de théâtre avait vu le jour. En dehors de deux professionnels je crois, tous les autres acteurs étaient des amateurs. ‘TOPAZE’ de Marcel Pagnol, pièce dont je me souviens encore, fut un succès. Les officiers allemands […] n’ont pas pu se tenir de féliciter les acteurs. Les décors et les costumes avaient été confectionnés avec de pauvres moyens ; faut-il s’en étonner ? Non, car l’ingéniosité des prisonniers français a toujours fait impression sur leurs gardiens. Ceux-ci ne disaient-ils pas : Enfermez des français tout nus dans une pièce elle-même dépourvue de tout, et vous les verrez en sortir tout habillés de la tête aux pieds. Ces concerts, ces pièces de théâtre m’ont fait vivre des moments exceptionnels. J’en oubliais ma condition de prisonnier et les barbelés qui nous entouraient. »

Toutes ces activités sportives, intellectuelles et artistiques répondent à un triple objectif ; tout d’abord, il s’agit pour tous ces prisonniers malheureux, maltraités pour nombre d’entre eux, déguenillés et parfois souffrants d’échapper mentalement à leurs misères quotidiennes et aux affres de l’oisiveté pour d’autres, leur donnant l’illusion pendant quelques heures d’avoir une vie normale.

ICRC  1942 Muehlberg/Elbe. Stalag IV B, camp de prisonniers de guerre.Performance théâtrale.

L'autre intérêt de ces diverses activités est de puiser la force nécessaire pour continuer à vivre, garder espoir et ne pas tomber dans une dépression qui pourrait être fatale. On comprend également l’intérêt des Allemands à encourager ces activités, car ils ont besoin d’avoir une main-d’œuvre performante et non une armée de morts-vivants qui ne leur seraient plus d’aucune utilité.


Néanmoins, il semble toujours important pour les prisonniers de préciser à traves leurs témoignages - afin que ne se crée aucune confusion dans les esprits - que la captivité ne pouvait être considérée comme une vie à part entière. Gaillard cité par Quinton en parle comme de « la moitié d’une vie humaine » et Guérin comme d’une « non vie ». Mon père lui-même a cette volonté d’éviter toute confusion dans les esprits : à plusieurs reprises, il insiste sur le contexte et sur le fait que les actions commises par les uns et les autres (pouvant parfois apparaître comme contestables ) ou les avantages tirés de telle ou telle situation doivent toujours être jugés par rapport au contexte exceptionnel de la captivité, car dit-il « personne ici n’est venu de son plein gré et ne doit oublier qu’il est prisonnier. »

L.Quinton insiste sur ce dernier point. Pour lui, les prisonniers de guerre avaient à cœur, face aux Allemands, ennemis héréditaires, de se rassembler autour de leurs valeurs communes, celles de la France. Il affirme que « le patriotisme connait en captivité une nouvelle jeunesse ». Le développement des arts, des conférences, la diffusion des savoirs, du culte et du sport sont pure illustration de cette volonté de faire vivre les valeurs françaises.


« C’est s’assurer que demeure encore, malgré la violence de l’événement, une identité française. C’est s’assurer que la France demeure inchangée, affaiblie mais point détruite, à genoux mais point gisante ».

Cette fierté et cette volonté de faire vivre les valeurs françaises s’observent également dans les kommandos, même les plus petits et parfois au travers de comportements individuels. Il suffit de lire le témoignage de Jean pour s’en persuader ; notamment quand il compare, non sans fierté, la débrouillardise française par rapport au manque de hardiesse des Autrichiens qu’il juge incapables de se sortir des règlements, même lorsqu’il s’agit de survie ; ou bien quand il ne peut s’empêcher d’ironiser, s’adressant à sa patronne pourtant nazie, sur le fait que, certes, les germaniques ont une armée remarquable, mais que dans son pays on boit du bon vin tous les jours. Une réflexion quelque peu puérile mais ô combien révélatrice du manque et de l’amour du pays et de sa culture.

ICRC Allemagne  05/11/1940 guerre 1939-1945. Frankenthal. Stalag XII B, camp de prisonniers de guerre.

ICRC  Autriche guerre 1939-1945 Wolfsberg/Kaemten. Oflag XVIII B Camp de prisonniers de guerre qui jouent aux cartes au soleil

ICRC  20/10/1940 guerre 1939-1945 Trier Stalag XII D camp de prisonniers de guerre. le coiffeur du camp.